Un Fort du système de défense Séré de Rivières

Construit en deux années seulement, de 1878 à 1880, le Fort de Mons-en-Barœul fait partie du système de défense élaboré par le général Séré de Rivières suite à la défaite de 1870. Devenu inutile suite à la mise au point de nouveaux explosifs 5 ans seulement après sa réalisation, il sera toutefois le siège d'unités de transmission, dont la plus étonnante sera celle d'une section colombophile avant de servir durant la guerre d'Indochine. Entre temps il aura connu des périodes d'occupation allemande à chacune des deux guerres mondiales, après avoir été déclassé 48 heures avant la déclaration de la première ! Resté intact, car non bétonné comme beaucoup d'autres fortifications, et magnifiquement remis en valeur avec un centre socio-culturel, c'est un exemple unique qui présente un intérêt architectural, historique et patrimonial exceptionnel.

La ceinture de Lille


Deux articles d'Alain Cadet. Edition numérique de la Voix du Nord des 26 et 27 décembre 2017. Edition imprimée du 5 janvier 2018.

L’arc sud-est du « Camp retranché de Lille » face à l’histoire (1)

Cet arc sud-est correspond à beaucoup de communes couvertes par notre édition. Un certain nombre de documents, découverts récemment au musée des Canonniers de Lille, fournissent des renseignements complémentaires sur ces forts d’arrêt de notre territoire, datant de la fin du XIXe siècle.



Ci-dessus et ci-dessous, le Fort de Mons-en-Barœul, occupé par les Allemands, pendant la Première Guerre Mondiale. Il servait alors de prison.


Construits suivant les préconisations du rapport du général Séré de Rivières de 1874, les forts seront érigés en une décennie. Lille, si proche de la frontière, est un avant-poste se dressant sur la route des invasions ennemies. La Flandre, zone plate sans grandes rivières pour la cloisonner, est un lieu difficile à défendre.

Au XVIIe, comme au XXe siècle, la fortification des villes frontalières semble être le meilleur moyen. À la lumière du désastre de 1870, Séré de Rivières, alors directeur des services du Génie, propose une réorganisation des places fortes du Nord, qui puisse «  donner de la profondeur » au dispositif, empêchant l’armée ennemie de manœuvrer correctement devant des forces françaises.

Le « camp retranché de Lille » est un système de défense. 

Tandis que la ville et sa muraille occupent le centre, des forts d’arrêt distants de quelques kilomètres sont bâtis tout autour.

Pour la zone qui nous intéresse, côté sud, les forts de Sainghin-en-Mélantois et Seclin occupent les positions dominantes de la crête qui va de la Marque à la Deûle.



Un canon revolver Hotckiss à gauche et un canon 12 culasse à droite

Côté est, la batterie du Camp français (Lezennes) et le Fort de Mons-en-Barœul sont construits sur des hauteurs. Ces ouvrages étaient équipés, pour les canons de longue portée, de 120 mm, système « de Bange », ainsi que de quelques 138 mm en bronze d’une portée inférieure à 10 km.

Des ouvrages intermédiaires

Comme la distance entre les différents forts est trop importante pour qu’ils puissent s’appuyer mutuellement, dans les années 1890, on va rajouter des ouvrages intermédiaires, en béton cette fois, de dimensions plus modestes, destinés à rendre l’ensemble plus cohérent. Ce sera Houplin, Noyelles et Vendeville pour Seclin, Enchemont, la Jonchère pour Sainghin, Croix de Vallers pour Camp Français, Haut Vinage, Babylone, Marchenelles pour Mons-en-Barœul.

Ce dispositif Séré de Rivières était très onéreux pour les finances de la France  : 112 millions rien que pour la frontière Nord sur un total de 400 millions. Mais malgré cet investissement, les forts et ouvrages de la métropole lilloise n’eurent quasiment aucun usage militaire lors de l’invasion de 1914. Le 24 août l’ordre est donné d’évacuer l’artillerie de tous les forts d’arrêt. L’ennemi peut en prendre possession sans tirer un coup de fusil puis les occuper pour en faire des centres logistiques, voire des prisons.

Un fort aujourd’hui disparu, Sainghin-en-Mélantois

Cet « ouvrage à massif central muni de deux batteries », bâti 58 m au-dessus du niveau de la mer, n’existe plus. Cependant, un petit tour sur Google Maps, donne une idée exacte de sa forme trapézoïdale, caractéristique des ouvrages Séré de Rivières.



Photographie aérienne du Fort de Sainghin-en-Mélantois, après-guerre.

Selon un inventaire du Génie, datant de 1905, on y dénombrait deux pièces d’artillerie de 120 mm, quatre 90 mm, cinq « canons revolver » Hotchkiss de 40 mm pour la défense rapprochée, deux mortiers de 27 (270 mm) et cinq 12 « culasse » (120 mm), soit au total, 20 bouches à feu.

Même si on y ajoute les pièces d’artillerie des deux ouvrages intermédiaires (rarement permanentes), le fort de Sainghin était loin des 44 bouches à feu qui lui sont généralement attribuées.

Malgré tout, c’était un ouvrage défense tout à fait efficace. Il possédait 11 abris « sous traverse » pour le pas de tir principal, deux magasins pouvant contenir 120 tonnes de poudre, un magasin pour les cartouches, deux ateliers de confection des obus, de vastes galeries couvertes permettant de remiser le matériel roulant.

Équipé d’un four à pain, de deux citernes de 6 m³ et de deux puits permettant chacun de pomper 8 m³ d’eau par jour, le fort possédait tous les approvisionnements nécessaires pour résister à un siège de trois mois.



En 1905, le pas de tir du fort de Sainghin. Il est étudié pour battre des axes très précis à des distances définies : Chéreng, 4500 m ; Gruson, 3100 m ; Cysoing, 4700 m ; Louvil, 3600 m ; Templeuve, 3000 m ; Frétin 3000 m, etc. Document musée des Cannonniers.

Sur le plan stratégique , cet ouvrage qui fait suite à celui de Seclin (distant de 8 km), battait les hauteurs qui s’étendent de Louvil à Gruson. Il permettait à la défense mobile d’occuper la commune de Bouvines sur la rive droite de la Marque.

Au sud, il pouvait battre les terrains de la vallée et, au nord, protéger la zone d’accès à la batterie du « Camp français ». En outre, ses projectiles pouvaient atteindre les routes et les voies de chemin de fer dont l’axe Valenciennes, Orchies en direction de Lille et Roubaix.

Le 24 août 1914, les canons de 120 du fort de Sainghin ouvrent le feu sur un détachement de Dragons allemands. Quelques jours plus tard, l’ouvrage sera occupé.



Le Fort de Sainghin, occupé par les Anglais avant la Seconde Guerre Mondiale. 
Document Imperial War Museum.

Après-guerre, il deviendra un dépôt de munitions. En septembre 1944, les Allemands, en déroute, font sauter le dépôt, causant l’effondrement de la plupart des casemates. Aujourd’hui, propriété privée, l’endroit est une réserve de chasse.




L’arc sud-est du « Camp retranché de Lille » face à l’histoire (2)

La ténébreuse histoire des canons du Fort Macdonald est enfin éclaircie. En l’absence de documents probants, elle s’était perdue avec la disparition des derniers survivants de la période 14-18. Dans les années 1970, où l’on a recommencé à s’intéresser à l’histoire locale, le sujet était une énigme.



La façade ouest du Fort Macdonald.
  
Y avait-il ou n’y avait-il pas de canons dans le vieux fort ? Difficile de répondre à cette question. Mons avait été occupée durement par l’armée allemande et la période avait laissé des cicatrices indélébiles dans la population civile. Dans les familles, on ne parlait jamais plus de cette époque.

L’opinion majoritaire était qu’il n’y avait jamais eu la moindre artillerie en service au fort. À l’appui de cette thèse, on avançait l’apparition des « obus torpille » chargés de mélinite (un explosif brisant découvert en 1885) qui venaient facilement à bout des constructions en briques, de type Séré de Rivières.


Plan du pas de tir du Fort suivant l'inventaire de 1905.

Alors, si ces forts ne pouvaient être défendus à quoi bon les doter d’artillerie ! Mais, en 2014, Xavier Lavallart, auteur de l’ouvrage Le Fort de Mons-en-Barœul exhume un document étonnant des archives municipales. En 1920, le maire de l’époque écrit à l’intendant militaire de la Place de Lille : «  À la demande des cultivateurs, je vous avais écrit pour vous prier de bien vouloir leur faire régler les frais de charroi de canons et matériels divers effectués au Fort de Mons-en-Barœul au début de la mobilisation.  »

Donc, si les fermiers avaient transporté les canons, c’est bien que le plan d’équipement des années 1880 avait été mis en pratique. L’inventaire de 1905 du musée des Canonniers de Lille répond de façon précise à la question. Il y avait, à cette époque, deux canons de 120 mm. C’était une pièce très mobile, dotée d’un système « de Bange ». Il restait précis jusqu’à une distance légèrement inférieure à 10 km.



Il y avait cinq canons " 12 culasse " au Fort de Mons.

On dénombrait aussi six canons de 90 mm, voisins des pièces précédentes. Ils avaient une portée d’environ 7 km.

Pour la défense rapprochée cinq canons revolver Hotchkiss de 40 mm garnissaient les batteries de flanquement. Cet engin, ancêtre de la mitrailleuse, tirait ses petits obus à balle à une cadence de 60 coups à la minute. C’était une arme très meurtrière.

Les quatre mortiers de 32 (320 mm) étaient des armes antédiluviennes. Elles étaient destinées à atteindre des objectifs rapprochés en cas d’attaque d’une troupe au sol.

Enfin, cinq 12 « culasse » (120 mm) permettaient de défendre les fossés en détruisant les échafaudages ou les passerelles de franchissement d’un ennemi qui serait parvenu jusque-là.

En tout, le fort possédait 22 bouches à feu, ce qui le classait dans une bonne moyenne.

L’ancien pas de tir est devenu un théâtre de plein air.

Lorsque la municipalité rachète le vieux Fort, le pas de tir est un terrain vague cabossé rempli d’herbes folles. Mais, trente ans plus tard, à l’occasion de l’opération Lille 2004, capitale européenne de la culture, à laquelle participe la ville de Mons-en-Barœul, des financements exceptionnels permettent d’envisager sa réhabilitation.



Le jardin de Thalie en été, là où était l’ancien pas de tir.

Sa structure en gradins rappelle un peu celle d’un théâtre antique, d’où l’idée de transformer le lieu en un théâtre de verdure. Les cours serviront de scène et des plates-formes étagées tiendront lieu de gradins. Quelques plantations judicieuses disséminées çà et là, et on obtient un magnifique théâtre de verdure. On lui donnera le nom de Jardin de Thalie.

Dès 2004, plusieurs spectacles de plein air y sont donnés. Puis l’association Jonas y organise des son et lumière qui, l’espace d’un week-end, en trois représentations, mobilisent plusieurs milliers de personnes.

Ensuite, le Jardin de Thalie connaîtra toutes les utilisations possibles. Il accueillera un festival rock, les concerts de la Brigade des tubes (fanfare), des opéras et chorales, des orchestres symphoniques, des spectacles de fin d’année des établissements scolaires, etc.

Le « Jardin de Thalie » est aussi un magnifique lieu de promenade, surtout à la belle saison, lorsqu’il est couvert de fleurs.



Le théâtre de verdure est particulièrement apprécié par les noces et leurs mariés.


Lorsque le restaurant du Fort était ouvert – il est fermé provisoirement pour travaux – et qu’il accueillait des mariages, le jardin était le lieu favori des mariés pour la réalisation des photos traditionnelles.